Les randonneurs
dans le Mercantour
Vendredi 8 septembre
: La vie devant soi
La chapelle St Sébastien
est bâtie au bord du chemin en sortie de St Etienne de Tinée
(1144m). Il est bon de s’y arrêter quelques minutes. Les
passant savent qu’ils sont ainsi protégés de la
peste et des dangers du voyage. La Tinée, un torrent qui descend
les vallées depuis le fond du Mercantour traverse la bourgade
en contrebas du sentier. Le soleil est d’humeur ironique, quelques
nuages le taquinent mais restent sagement accrochés aux cîmes
qui nous entourent. Les nuages noircissent, seraient-ils menaçants
? Les randonneurs se concentrent avec ardeur sur leur pérégrination
qui commence. Les colchiques sur les talus chantent la fin de l’été.
Un petit vent frais cherche à être serviable, il atténue
la brutalité de la montée vers le Puy d’Auron.
Quelques gouttes de pluie tombées de nulle part viennent déjà
doucher l’enthousiasme ! Les randonneurs s’activent inquiet
de l’orage pouvant survenir. Mais le silence des montagnes est
la réponse. Auron est bâtie au fond d’un étroit
ravin. De longues lanières de sol dénudé strient
les versants boisés de l’adret en deçà
du village. Ce sont les sillages des téléskis de la
station de sports d’hiver. Mais décidemment les nuages
noirs s’accumulent sur les sommets derrière nous. Fuyons
! L’orage approche ! Mais St Sébastien est avec nous,
il sait reconnaître ceux qui ont mis la main sur les murs de
sa chapelle ! Le GR5 se faufile entre les nuages hostiles.
Le GR5 monte en
lacets à travers une forêt au dessus du ravin d’Auron.
A chaque détour des lacets, aux belvédères, les
montagnes font admirer la majesté de leurs fortes épaules.
Elles s’arc-boutent pour contenir la menace. Auron rapetisse
à vue d’œil et disparaît avalé par
les mélèzes. Au col du Blainon (2014m) les randonneurs
se tapent les paumes, c’est comme un passage de la Ligne ! Le
premier sommet à 2000m ! Et ils basculent dans un autre univers.
Le regard plonge dans la profondeur de la vallée, puis on dégringole
une prairie parsemée de bergeries, de chalets ( ?). De toutes
parts l’eau ruisselle en cascatelles.
Les planches disjointes de la toiture d’une bergerie en ruine
ouvrent au vent et au regard un intérieur délabré.
Il y a une bizarre couverture de pierre sous la toiture, fait remarquer
Jean-Claude.
Le prêtre en soutane agite vivement la corde de la cloche. Les
gens du vallon montent à la messe, gais ou grognons. Les rires,
les pleurs des enfants sont à peine couverts par le carillon.
Les bergères au sein frémissant vont à la rencontre
des pâtres au cœur battant. Monsieur le curé carillonne
de plus belle ! La vie devant soi ! Où est le clocher ? Mais
c’est une chapelle s’écrient les randonneurs distinguant
la voûte en berceau sous la couverture. Puis un autel solitaire
tapi au fond de la nef désolée, à demi obscurcie.
L’étrange pylône se transforme en clocher. Tout
alentour les constructions disséminées sont à
l’abandon. Comme si la vie avait déserté une contrée
inhospitalière. Mais plus bas, au bout du chemin taillé
dans le gneiss rosâtre, le joli hameau de Roya contredit cette
angoisse. Les maisons blanches, chaulées ( ?) les toits rouge
pimpant de son église rompent la solitude immense.
Le patron du gîte de Roya nous confia une particularité
qui démontrait l’occupation humaine de la région
en des temps reculés : Les bâtisseurs de l’église
découvrirent les ossements d’un homme âgé
de plus de 3000 ans pendant les travaux de terrassement ! Le crâne
et les tibias croisés sont accrochés sur un mur de la
nef.
Miam miam ce soir ! On
est affamés :
Soupe aux légumes
Estouffade provençale, timbale de courgettes et riz sauvage
(Excellente !)
Fromage blanc et confiture maison
Pichet de vin rouge du patron
Sur la terrasse du gîte,
face à la vieille église, je m’accoude sur la
rambarde. Et là haut au dessus du contour des crêtes,
je vis la nuit étoilée pleine des promesses du lendemain.
Samedi 9 septembre
: La trace du loup
La fraîcheur matinale
est due aux montagnes qui étendent leur ombre sur Roya. Le
ciel est limpide annonçant une journée ensoleillée.
Les orages menaçants d’hier ont disparu comme par enchantement.
Ainsi est la montagne, capable du pire comme du meilleur. Il faut
descendre au fond du vallon pour traverser la Maïris et remonter
le torrent jusqu’aux barres de Roya. Les parois de la gorge
sont vertigineuses. Des cascades surgissent des anfractuosités
qui strient les falaises. Les filets d’eau rebondissent de strates
en strates jusqu’à la Maïris. Il y a plusieurs millions
d’années, après le plissement alpin, ces vallées
étaient remplies par de gigantesques glaciers.
La neige accumulée dans les plateaux glaciaires, comprimée
par sa propre pesanteur, se transforme en glace. Ce même poids
écrase le sol créant des dépressions ou bien
entraîne des fleuves solides, les glaciers qui rabotent les
pentes rocheuses. C’est avec le recul de la glaciation qu’apparaissent
les lacs et les marécages au milieu des dépressions,
ou encore les vallées encombrées de blocs erratiques,
lissés par le glissement du glacier, bornées par les
énormes moraines. Les paysages alpins plus que partout ailleurs,
en Europe, laissent paraître le modelé accompli par le
travail de l’érosion glaciaire. N’est ce pas là
ce que cherchent les randonneurs amoureux de la montagne !
Un panonceau fiché au bord du sentier avertit les randonneurs
d’avoir à respecter les troupeaux : se tenir à
distance et avoir l’œil sur les chiens ‘pastous’.
Si un chien ‘pastou’ s’approche, il faut rester
immobile et le laisser renifler l’intrus ! Il s’en ira
de lui-même après avoir terminé son inspection
! Cela semble étrange, est-ce difficile de rester figé
pendant que l’animal promène son mufle ?!
Les chiens ‘pastous’
sont surtout présents pour protéger les troupeaux des
loups. Bientôt on croise de nombreux troupeaux de moutons, de
chèvres broutant l’herbe rase ou les rares fleurettes
des pentes abruptes. Le sentier zigzague dans un paysage rocheux,
dénudé, le vallon de Sallevielle. Près d’une
bergerie solitaire au toit de tôle rouillé, une ânesse
allaite son vorace ânon. C’est la cabane de Sallevielle
(1955m). En nous faufilant entre d’énormes rochers, avec
constamment la cabane dans le dos qui nous regarde gravir les éboulis,
nous franchissons la barre de Sallevielle.
De l’autre côté il y a une combe, un vaste cirque
semblable au désert d’une autre planète, tout
en ocres et oranges. Les ombres de quelques nuages glissent sur les
versants, tâches d’un gris tiède ondulant sur des
tapis veloutés. Des méandres sinueux bordés d’herbe
rouge soulignent un marécage stagnant au fond de la dépression.
Les randonneurs hument l’odeur de tourbe acre et humide. Ça
et là de petites fleurs d’un bleu lumineux surgissent
d’entre les touffes d’herbe jaunâtre. Ce sont des
gentianes dit Sylvie ! La petite troupe contourne le mont Mounier
(2817m) jusqu’à un léger goulet en haut dans une
échancrure de la combe, le col de Crousette (2480m) ! Hourra
! C’est gagné ! On y arrive quoi !
En gravissant les flancs du mont Mounier on atteint la stèle
du lieutenant Valette (2575m). Les montagnes sont grandioses : des
pics rocheux se dressent au dessus des pierriers, les crêtes
se découpent les unes derrière les autres dans un dégradé
de tons pastels palissant avec l’éloignement. Les précipices,
les vallées s’ouvrent sous nos pieds. Tout au long de
la crête descendante des chardons dorés, les carlines,
s’ouvrent au soleil. Des marmottes courent au milieu des alpages,
dans les cailloutis en bas de la descente. Le chef aux aguets parvient
à en surprendre une sortant la tête de son terrier !
Elles sifflent dit Sylvie, comme pour alerter leurs congénères
!
Au vallon de la Gourgette (1755m) on ne rit plus !
Le sentier est barré par les Portes de Longon (1952m). Ouille
! Allons-y, courage ! On grimpe haletants sans trop y penser. C’est
raide ! Le plateau du Longon est une douce déclivité
parcourue par un petit torrent. Un pâtre furibond traîne
un mouton par les pattes de devant. L’arrière de la pauvre
bête est tout dévoré. C’est la signature
du loup.
Pour l’instant
les loups affamés c’est nous :
Soupe aux légumes
Mouton en gigot, gratin de pâtes au lard et patates
Desserts variés
Pichet du patron.
Vous savez ? Au refuge
du Longon c’est douche à l’eau glacée à
volonté !
Dimanche 10 septembre
: La prairie en fleurs
La lune rutile de blancheur
dans le ciel limpide. Le mont Mounier ocre grisâtre se détache
à l’horizon de la prairie, sous la lumière déjà
vive. La fraîcheur du matin nous emplit de gaîté.
L’odeur de l’alpage humide de rosée envahit les
poumons, le sang, les neurones des randonneurs qui s’ébrouent.
Ils ont passé la nuit serrés les uns contre les autres
dans la vacherie accolée au refuge. Les voilà descendant
le plateau d’un pas alerte, le long du ruisseau de l’Arcane
qui disparaît entre les sapins. On dévale les rochers,
parfois surplombant un précipice sans fond. Le ruisseau se
transforme en torrent, puis en cascades bondissantes. On perd rapidement
de l’altitude, la crête du Longon est bien au dessus de
nous.
Le sentier s’enfonce dans des sous-bois de sapins, de mélèzes.
Par endroits les carlines ouvrent tout grand leurs yeux dorés.
Les joubarbes rougeâtres tendent leur cou trapu vers le soleil.
Les randonneurs détachent délicatement des baies de
genévrier pour en goûter l’âcreté.
Le plateau de Rougios ouvre une parenthèse dans la descente
ininterrompue. La prairie est couverte de fleurs, les raiponces, les
potentilles, les asters abondent autour des bergeries solitaires.
Tout alentour les lignes de crêtes du Mercantour protègent
ce petit théâtre. Les randonneurs hument le parfum fugace
de ce petit paradis oublié par l’automne imminent. Puis
la descente reprend à travers les bois, des cascades de mousses
ponctuées de fougères dévalent les pentes, canalisées
par les troncs des mélèzes. A l’orée de
la forêt de la Fracha, la vue plonge sur un vallon très
encaissé. On devine à peine le sillage de la Tinée.
Tandis que, en face, sur l’autre flanc du ravin, Rimplas et
son fort montent la garde sur le passage du Valdeblore.
Nous y serons demain ! Dit le Chef. On rit tellement cela nous semble
lointain !
Quelques granges apparaissent, puis des chalets pimpants avec des
fleurs éclatantes aux balcons ! Le GR5 joue à cache-cache
avec une route en lacets jusqu’à l’entrée
de Roure (1096m). Le village s’accroche au flanc abrupt d’une
falaise. Il est dominé par une belle église baroque
à la nef tapissée de retables dorés. Les ruelles
pavées de Roure serpentent entre les maisons aux murs nouvellement
chaulés. La place du village est pleine de gaîté
avec des lampadaires anciens, les drapeaux tricolores accrochés
sur le fronton de la mairie. Une fontaine coule joliment en contrebas
de l’escalier au bout de la placette.
C’est dimanche ! Le four communal est ouvert ! Le boulanger
de service est sur le pas de la porte, il rit dans sa barbe. L’odeur
du bon pain, ou des tartes fraîchement sorties du four embaume.
Achetons du pain frais pour les jours qui viennent ! Des tartes, oui
des tartes, des pissaladières, des quiches ! Le boulanger nous
offre un plateau de tartes pissaladières de bon cœur.
Sinon ça va être perdu !
C’est dimanche ! Profitons de cette journée pour souffler
un peu !
On déjeune sur la terrasse de l’auberge de Roure. Notre
table est à l’ombre pour être protégés
du soleil ardent.
Quoi ?
Du foie gras poêlé, du jambon fumé, de l’agneau
rôti… C’est délicieux dis-je à l’aimable
aubergiste. Ça vous a plu ! Répondit-elle en souriant.
Sur l’étroit sentier en dessous de Roure, les raides
lacets sont bordés de buissons de thym. La chaleur monte avec
l’altitude qui décroît. L’air embaume de
senteurs méditerranéennes. Des figuiers laissent aimablement
cueillir leurs fruits. Je pèle une figue à peine ramollie
pour en gober son cœur savoureux. Attention ! Des vététistes
nous frôlent en équilibre sur le rebord du ravin, crispés
sur leurs freins.
La Tinée miroite enfin au creux de la vallée, elle s’en
va rejoindre le Var. Le rouge des toits de St Sauveur sur Tinée
(496m) se devine par intermittence entre les cimes des arbres. Le
village s’étale sur le bord du torrent. Le gîte
est à l’écart, sur une esplanade aménagée
en outre pour le collège, le terrain de sport, l’héliport
du secours en montagne. Il n’offre que le couchage, il y a une
cuisinette, il faut se débrouiller pour dîner !
St Sauveur, comme
bien des villages des Alpes Maritimes, possède son église
baroque, ses ruelles pavées bordées de maisons en encorbellement
fraîchement restaurées. On dirait que la région
s’est faite toute belle pour les nouveaux arrivants !
Saucisson, jambon
Pâtes au gruyère
Poires, raisins
Côte de Provence rosé
Sans doute pourrais-je
dire que les randonneurs s’endorment bercés par le murmure
du torrent si proche ?
Lundi 11 septembre
: Une peuplade ligure
Les randonneurs traversent
le torrent tumultueux sur la passerelle du terrain de sports, puis
St Sauveur encore endormi. Ils gravissent le chemin qui monte à
la chapelle St Roch face à l’adret des montagnes. Le
soleil est éclatant sur le versant qui nous fait face ! La
pierre se colore de rouge chaud (Du gneiss ? Du schiste feuilleté
?) et de blanc presque lumineux (Du granite ? Du grès ?). Au
dessus des toits de St Sauveur, bien haut, se détache le balcon
de Roure. Le sentier caillouteux est bordé de colchiques, de
campanules, d’œillets sauvages et d’aster des alpes.
Dans le creux de la vallée la Tinée serpente entre la
montagne de Rimplas et la pointe de la Penna, énorme éperon
dressé comme pour contrebalancer le fort de Rimplas.
Un grand oiseau plane en silence (L’air peut-il émettre
un sifflement quand le bord d’attaque des ailes des oiseaux
le pénètre ?) dans l’immensité entre les
cimes. On le voit glisser, pencher ses vastes ailes et faire un lent
mouvement circulaire, remonter, descendre, remonter, se détacher
dans le ciel et redescendre à nouveau pour disparaître
dans le fond du vallon. Un aigle ? Un vautour ?
C’est une peuplade ligure qui habita pour la première
fois la vallée de la Tinée ; les Ectinis qui donnèrent
leur nom au torrent. Rimplas occupe un emplacement stratégique
sur la route du sel, c’est la voie de communication vers le
Valdeblore : St Dalmas, St Martin de Vésubie. Les hommes n’ont
eu de cesse de se disputer la place. « In Rege Placito »
ou « La Place Royale », ce fief possédant un tribunal
de justice devint Rimplas. Le roi d’Aragon, le comte de Provence
suzerains successifs de Rimplas y eurent leur château. Les Français,
les Autrichiens, les Sardes, les Piémontais guerroyèrent
à cet endroit ! Ne sommes nous pas au milieu de l’ancien
comté de Nice !
Le château féodal a aujourd’hui disparu, mais bâti
sur un promontoire dominant Rimplas, un fort de la ligne Maginot se
cramponne face aux montagnes. La frontière italienne est de
l’autre côté des cimes. La jolie église
de Rimplas, toute d’ocre et de parme, est dédiée
à St Honorat. La statue du Saint équipée de traverses
pour le promener en procession dans le village est posée sur
un socle dans un côté de l’église, il nous
regarde entrer dans la nef avec bienveillance. Le sentier après
le village descend à flanc de montagne en surplombant des ravins.
Au loin des habitations posées sur une arête taillée
dans la montagne surveillent notre progression. Le chemin franchit
les ravins sur des ponts à arche de pierre. Il traverse des
bosquets clairs. Puis va par les champs, les vastes prairies ceinturées
de montagnes lointaines. C’est un ancien plateau glaciaire.
La route du sel choisit bien ses voies de passage ! L’église
St jacques avec son curieux porche à colonnades monte la garde
à l’entrée de Valdeblore. Son clocher alpin tout
en pierre se déporte légèrement sur le travers.
Les randonneurs s’installent à son ombre pour casser
la croûte. Ils réussissent même à faire
une petite sieste régénératrice, la première
! Quand les randonneurs reprennent le GR, ils scrutent les hautes
montagnes rosâtres devant eux, quelque part est le col à
franchir demain. L’ascension va être douloureuse pensent-ils
voyant la majesté impassible de la masse rocheuse. Regardez
! Un éclat lumineux ! S’exclame Michael en montrant une
crête au dessus de St Dalmas. Bizarre ! Et tous d’imaginer
des appels de miroirs d’alpinistes en perdition ! Mais l’éclat
disparaît et ne revient pas.
Le gîte de Lorenzo est au cœur du village fortifié
de St Dalmas. Des ruelles pavées se faufilant entre les maisons
de pierre, ou à pan de bois, y mènent, c’est à
côté de la petite école. Les enfants sortent en
courant et s’éparpillent pour rejouer avec les copains,
ou pour retourner chez eux. Le village est ravissant, les maisons
accolées les unes contre les autres ont de belles portes en
bois. Des passages voûtés mènent à des
placettes ensoleillées encore. Les fortifications habitées
sont percées de fenêtres, quelques unes ont un jardin
potager à leur pied. En dehors du village la belle église
Ste Croix, avec ses puissants contreforts, de l’an mil, protège
le village. La vie était dure dans l’ancien temps vous
savez ! Les gens d’ici avaient besoin d’être aidés.
Lorenzo, le volubile et enthousiaste gardien du gîte (à
plus d’un titre vous le saurez plus tard !) nous appelle : A
table ! A table ! La salle à manger est ouverte ! On s’installe
sur les bancs affamés :
Haricots verts et tomate
en salade
Escalope de volaille et gratin dauphinois (une recette de ma grand-mère
dit Lorenzo !)
Salade de fruits
Vin de pays du Gard
Sur un mur du gîte,
au milieu des trophées de Lorenzo, le randonneur impénitent,
on voit les parcours de la via ferrata au dessus de St Dalmas. L’éclat
lumineux trouve là son explication !
Mardi 12 septembre
: La gentiane de Bavière
Des enfants avec le cartable
sur le dos descendent la petite route qui longe l’église
romane. Ils vont à l’école ! Ils croisent les
randonneurs avec le sac sur le dos qui vont aux lacs des Millefonts
! Le sentier caillouteux cherche sa voie entre les genévriers
et les pins tordus. Les montagnes, les cols qui nous attendent ont
une couleur ocre pâle qui tranche avec la verte vallée
du Valdeblore. La végétation se raréfie autour
de nous pendant notre progression lente et régulière.
Loin derrière nous maintenant St Dalmas se fond dans la montagne
noire. Des bergeries, des vacheries, des fontaines sont plantées
au bord du chemin. Et sur un col dénudé on voit Rimplas
dans le lointain.
Les randonneurs
sont dans une immensité pierreuse. Ils grimpent sur le flanc
des pentes rocheuses, escaladent des rochers erratiques, traversent
des pierriers. Ce n’est qu’un paysage lunaire jusqu’au
col de Veillos (2194m). Les cimes sont grandioses. Le regard se noie
dans les cols, les crêtes, les barres et les pics. Sommes nous
dans un lieu surnaturel ?! Quel étrange secret avons-nous violé
?! Est-ce la porte du paradis ?! Des lacs apparaissent, vestiges des
grands glaciers de l’ancien temps : le lac Rond, le lac Long.
Les montagnes se reflètent sur le miroir de l’eau. On
s’arrête sur le bord du lac Long. De longues herbes l’entourent,
des algues ondulent sous l’eau, la tourbe roussit le rivage.
Venez voir ! Venez voir ! S’interpellent les marcheurs. Une
gentiane solitaire d’un bleu intense se cache derrière
un petit rocher. Une gentiane de Bavière ? Comme le dit si
joliment le livre de la flore alpine ! On continue l’ascension
du pierrier. Le chemin de crête domine le lac Gros et le contourne
depuis les hauteurs. Il est grisâtre, tout étriqué,
enfoncé dans un creux étroit et sombre. Mais par delà
la crête le col de Barn (2452m) ouvre sur une splendide chaîne
de cols, de vallées, de pics, de cayres. Que de beauté
! C’est la limite du Mercantour.
Les randonneurs redescendent dans un paysage agreste comme une petite
Suisse avec des sapins, des fleurs et un torrent rieur.
Le petit lac de Barn est alimenté par des cascatelles, des
filets d’eau qui dégringolent de toutes parts sur les
pentes. Le torrent s’échappe du lac et se fraie un passage
le long du vallon. Le sentier longe le torrent et le franchit maintes
fois par des passerelles de bois. Les prairies sont couvertes de massifs
de rhododendron.
Les randonneurs font halte sur un petit pré pentu au bord du
torrent pour pique-niquer. Les sacs tombent à terre et tous
s’allongent puis se déchaussent pour se mettre à
l’aise. Chacun déballe ses affaire du sac, ouvre son
canif, coupe son pain, croque ses carottes crues, tranche son saucisson.
Chacun mâche d’un air pensif. Votre narrateur trempe ses
pieds dans l’eau glacée du torrent.
A la vacherie du Collet (1842m) les randonneurs se retrouvent sans
trop savoir comment au milieu d’un troupeau de chevaux.
On est très aguerris à présent et les dénivelées
nous paraissent dérisoires. Le col de Salèse (2031m)
est l’orée de la forêt, le sentier se déroule
le long du torrent de Salèse. Des branches s’agitent
au dessus de nous ! Un écureuil saute de branche en branche,
il est tout noir avec une longue queue touffue. Craintif il nous épie.
Il saute jusqu’au torrent et disparaît dans la nature.
Le sentier n’est plus qu’un mince raidillon qu’il
faut escalader à grandes enjambées en se calant sur
les racines des arbres. On lève la tête cherchant à
apercevoir un répit à cette douloureuse ascension. Mais
ce n’est qu’une illusion le chemin débouche sur
la route goudronnée ! La vallée de Salèse est
devenue si étroite coincée entre des versants abrupts
qu’il n’y a plus que la place du serpent de route. Les
lacets à descendre sur la route qui tape les mollets sont interminables.
Au dernier détour on aperçoit l’eau miroitante
du barrage du Boréon entre les branches des sapins.
La gentille gardienne du refuge est entrain de touiller une soupe
odorante. Elle est heureuse des compliments que lui font les randonneurs
en humant le fumet dans tout le refuge.
Soupe de légumes
(Une splendeur !)
Lasagnes à la viande
Compote de pommes
Côtes de Provence
Le gîte est au
milieu d’une forêt de résineux ! C’est obscur,
il ne fait pas bon de sortir le soir ! On joue au scrabble !
Mercredi 13 septembre
: Le lac aux truites
La fraîcheur matinale
est emprisonnée entre les branches griffues des sapins et des
mélèzes. Une brume légère flotte aux cimes
des arbres. Le chemin grimpe un raidillon au dessus du hameau du Boréon
(1473m). Entend-t-on le mugissement du torrent qui se rue dans le
fond du vallon ? On longe le flanc de la montagne du Pelago parallèlement
au torrent éponyme. Dans la trouée des arbres surgit
la cascade du Boréon qui saute d’arête en arête
en giclant. Le sentier devient un cailloutis puis un pierrier. On
se fraie un passage dans d’étroits éboulis pour
contourner la cascade. On grimpe le sentier raide longeant tout près
le torrent jusqu’à un pont de bois branlant.
Le pont nous fait
aller en deçà des vertes vallées du Boréon,
vers l’Est, vers les montagnes arides du mont gelas et du mont
Clapier. Le lac de Tréolpas (2150m) repose au fond d’un
cirque large et dégagé, son eau tranquille est d’un
bleu sombre. La brume de ce matin s’est transformée en
un ciel grisâtre. Les randonneurs ont enfilé leur polaire
ou leur veste gore-tex. Le froid gagne insensiblement l’air
ambiant. Soudain, le petit groupe s’immobilise, tous sont tournés
vers les versants de la combe de Tréolpas. Des chamois nous
observent ! Cependant ils restent à bonne distance. Fiers et
inquiets, dressant leurs petites cornes, prêts à bondir
vers des rochers inaccessibles.
Le GR part à l’assaut d’une fenêtre doit
devant le lac, le pas des ladres, quelque part au milieu des enfilades
de pics, d’aiguilles et de brêches. L’austérité
des montagnes étreint notre cœur. Sommes nous oppressés
par l’infinie solitude, le froid qui s’en dégage
? On monte, les lacets sont de plus en plus serrés. Le vent
souffle son haleine glacée. Des nuages noirs s’accumulent
sur les cimes. Au pas des ladres (2448m) le vent souffle en rafales.
Les montagnes du Gélas sont fièrement dressées
devant nous. Mais les randonneurs continuent de marcher cherchant
à échapper à ce vent insistant. Voila un petit
col avec de gros rochers en aplomb ! On s’abrite tant bien que
mal derrière ces rochers !
Les randonneurs ouvrent leurs sacs et pique-niquent en silence. Ils
ne peuvent rester que peu de temps, le refroidissement les gagne.
Allons-y ! Dit le Chef. Le ciel s’obscurcit, les orages sont
de plus en plus imminents. Les randonneurs dévalent le sentier
vers la vallée de la Madone. Les hautes montagnes sont plongées
dans les ténèbres. Mais à l’embranchement
(2065m) avant le cayre de la Madone le calme revient. Un miraculeux
répit avant le déluge ? Profitons en pour aller jeter
un coup d’œil au lac de Fenestre. C’est une petite
variante par un sentier caillouteux qui chemine jusqu’au pied
du col de Fenestre. Le lac (2266m) dort tranquille au milieu de son
cirque. Un blockhaus est perché sur la crête du col.
De l’autre côté, à droite, c’est l’Italie.
Le chemin pris
tout à l’heure est exactement le pendant du col de Fenestre
après l’aiguille, à gauche. On suit des yeux le
sentier dévalé avec tant d’inquiétude auparavant.
Un lac qui dort ?! Non ! La surface de l’eau est troublée
par des ronds, puis des vaguelettes strient le lac. Il y a quelque
chose de vivant dans ce lac ! Oh ! Je vois ! Des poissons ocre grisâtre
nagent entre les rochers et les algues.
Des ombles chevaliers ? Des truites ?
L’esplanade de la Madone de Fenestre est tapie au milieu d’un
majestueux amphithéâtre dominé sur sa gauche,
en faisant face à l’entrée de la chapelle, par
les montagnes du Gelas et sur sa droite par l’élégant
cayre de la Madone, et derrière le mont Ponset.
Le refuge de la Madone de Fenestre est géré par le Club
Alpin Français. Il est plein de randonneurs harassés.
Les gens s’attablent et discutent des sentiers, des épreuves
endurées, de la météo du lendemain.
Soupe de pois cassés
et lard
Veau en sauce et riz
Compote de pommes
Pichet du patron
Des poissons dans le
lac ? Ah oui ! Il y a des hélicoptères qui montent en
haut et lâchent des paquets d’alevins dans les lacs. C’est
pour les pêcheurs. Dit le patron du refuge.
Jeudi 14 septembre :
Pluie et brouillard
Avec une mine consternée,
les randonneurs scrutent le paysage à travers les vitres du
refuge. Il pleut à verse ! La Madone de Fenestre est tout entière
noyée dans une brume épaisse. De grosses gouttes de
pluie frappent avec violence les fenêtres. La météo
nous avait prévenu la veille, le patron du refuge en avait
parlé, les autres randonneurs en discutaient avec un air entendu
! Mais qui le croyait vraiment parmi nous ? La montagne a tant de
caprices ! Mais là voilà ! La pluie diluvienne qui emporte
et anéantit les belles ambitions! On n’abandonne pas!
Plan de secours !
Les randonneurs décident de couper par les sentiers du vallon
du Ponset pour gagner St Grat par la Baisse des Cinq Lacs (2400m)
au pied du mont Néglier. On abandonne le passage prévu
par la Baisse de Basto qui est trop risqué. Un des randonneurs
du refuge est parti par le Basto en dépit de tous les avertissements.
Quel imprudent ! La pluie et le brouillard sont continuels mais les
randonneurs ont du cœur au ventre. La vallée des Merveilles
ça se mérite ! Allons-y ! On enfile les vêtements
de pluie : veste, sur-pantalon, cape. L’ascension commence sur
des sentiers étroits.
Des bandes de chamois
nous observent du coin de l’œil. Ils sont si près,
comme s’ils croyaient que la pluie pouvait les protéger
! Après le franchissement d’un col les randonneurs plongent
dans une ancienne dépression glaciaire parsemée de lacs.
C’est la Baisse recherchée. Quel curieux nom pour un
lieu si élevé à atteindre ! Le sentier se faufile
entre les lacs. Un crapaud égaré, trompé par
l’eau du ciel halète au bord du sentier loin de son marécage.
La pluie tombe sans cesse. Les randonneurs grimpent sur les pierriers,
enjambent les rochers poisseux.
La progression
est lente cependant pour ne pas glisser. La barre de Prats est franchie
(2335m). Le vent violent est glacial au passage de la crête.
Personne ne pense aux efforts tant est pressant le besoin de s’abriter
sur l’autre versant. Les randonneurs sont trempés à
fond d’un mélange de sueur et de pluie insidieuse. Chaque
toit de tôle ou de lauze aperçu plus bas ou sur le côté
du sentier suscite un espoir incrédule. Mais la bergerie est
ou bien ruinée ou bien fermée hermétiquement.
Il n’y a aucun abri. On descend fatalistes presque à
l’aise finalement dans l’état de moite humidité
où chacun baigne. Allons ! Voyez les montagnes parées
d’un pudique voile de soie ! Ce sont les montagnes des Merveilles
! Le but ultime de notre périple est de l’autre côté
! Voyez la vallée en contrebas avec les chalets disséminés
le long d’un torrent. Le refuge est tout proche, quelque part
parmi ces toits. Les randonneurs ne perdent pas leur courage !
Le sentier débouche sur la route de St Grat. La délivrance
est proche. La pluie ne cesse pas. Les chaussures font un curieux
clapotis. Quelle est la meilleure façon de se protéger
de la pluie ? Il n’y en a pas vraiment, on peut juste retarder
un peu l’échéance fatale où l’eau
envahit les derniers retranchements.
Le Refuge des Merveilles à St Grat (1625m) est notre havre
au milieu des éléments ! D’autres randonneurs
se sont arrimés au bateau et, tristounets, certains enveloppés
de couvertures, regardent tomber la pluie sur la terrasse. Une petite
cheminée flambe dans la pièce commune vite envahie de
paires de chaussures ruisselantes.
La pluie cesse un bref instant, des randonneurs descendent à
la découverte de St Grat. Derrière eux ils voient, incrédules,
quelques trouées bleues dans le ciel bas. Comment sera demain
?
Soupe de légumes
Cannellonis à la tomate
Fromage blanc à la confiture de fraise
Pichet du patron
Dehors la pluie se remet
à tomber !
Une petite partie de scrabble avant de se coucher c’est bon
pour le moral !
Vendredi 15 septembre
: Une journée avec les randonneurs
Ce matin je trouve que
les feuilles sont très goûteuses. Je les mâche
avec plaisir. C’est vraiment une chance de vivre dans ce coin
! L’herbe rase tendrelette, les bourgeons des buissons sur le
bord de la route me ravissent. Ma copine la rouquine et moi on ne
se quitte pas. Tiens voilà de curieux bergers qui montent aux
alpages ! Ils ont l’air aimable. Il y en a qui me caressent
les cornes. La rouquine a l’air de les apprécier aussi.
Ils marchent vers le pont du Contet. Je connais ! C’est juste
après le barrage que les hommes ont jeté en travers
du torrent qui s’en va vers la Vésubie. Tiens ils traversent
le pont et continuent sur l’autre versant. Rouquine hoche la
tête. C’est bon on va les suivre !
On va les aider à monter ! Les pauvres ils paraissent être
énervés ! Ils vont certainement au pas de l’Arpette.
C’est haut ! Mais bon on va leur tenir compagnie. Les fleurs
sont exquises, pleines de rosée et de parfum. C’est quoi
la boîte que me montre le berger à lunettes ? On dirait
qu’il y a un œil sur la boîte. Ce sont vraiment des
gens sympathiques ! La montée de l’Arpette c’est
quand même difficile pour eux. Il y a une belle éclaircie.
Mes bergers sourient. J’aime voir les gens gais et plein d’entrain.
La Rouquine cligne de l’œil, on est peinardes !
Il y a des copains qui s’amusent dans les vallons. Ohé
! Ohé ! N’ayez pas peur ! On est entre amis !
Dommage ! On s’arrête ! Tiens ! Ils sortent des trucs
de leurs sacs ! Je peux renifler ? Non ? Ils ne veulent pas ! Ces
hommes ! Toujours à vouloir cacher leur foin. Mais bon ! Rouquine
s’en fiche, elle a trouvé un buisson de genévrier
appétissant. Voyons cela ! On entre dans le vallon des Merveilles,
c’est aussi une ancienne dépression glaciaire. Les grands-parents
de mes grands-parents ont connu les hommes dessiner les cornes de
mes arrière-grands-parents, je ne me souviens plus. Je crois
qu’il y a même des cornes de taureau gravées sur
les rochers. Et des poignards, des grilles qu’ils appellent
réticulés pour dire les champs !
Ils veulent voir ça ! Mon grand-père me disait : quand
la glace a fondu laissant des lacs épars au milieu des multiples
dépressions bordées par les versants du mont Bego, c’était
beau ! La montagne était magnifique dans son austérité.
Les hommes avaient un dieu ! Vous savez ? C’est comme Arthur
! Arthur c’est le bouc de la bergerie du Devensé. Et
ils se sont mis à graver sans cesse tous les rochers lissés
par le vieux glacier. Allons bon ! Il se met à pleuvoir ! Mais
mes bergers suivent un berger barbu le long de la Baisse de Valmasque.
Ils vont de rocher en rocher. La roche de l’éclat. La
roche brisée. Avec la Rouquine on les suit. Le barbu il parle
des poignards gravés, du dieu taureau, des orants, des réticulés.
Mon berger, celui qui a la boîte à l’œil,
il demande comment on sait que c’est des gravures tant vieilles
? Le barbu lui répond qu’il y a trois raisons à
cela. Les romains en parlaient déjà il y a 2000 ans.
Il y a des milliers de gravures de poignards de l’âge
du bronze recensées aux Merveilles et dans la Fontanalba, une
telle quantité exclus l’invention ponctuelle. Enfin des
archéologues ont fouillé autour des rochers et trouvé
les silex qui ont servis à graver les rochers, enfouis sous
plusieurs couches de sédiments. Je suis contente, le barbu
a bien défendu les gravures ! Le vent est violent, la pluie
s’infiltre partout. Les sentiers sont transformés en
ruisseaux. Mes bergers et le barbu ils rentrent au refuge.
Je sais ce qu’ils vont manger ce soir ! Rouquine me l’a
dit, elle a mangé le menu affiché sur le panneau du
refuge !
Soupe de légumes,
petites pâtes et croûtons
Paupiettes de veau aux champignons et riz
Salade de fruits
Pichet du patron
Ce n’est pas grave
! Un autre berger va venir nous ramener à la bergerie, où
il y a de la paille chaude et sèche. On a passé une
bonne journée Rouquine et moi, Noiraude ! J’espère
que l’on reverra des bergers aussi charmants. Je suis contente
quand même que le berger soit venu nous ramener. Parce que la
nuit, il y a le loup.
Samedi 16 septembre
: L’adieu à la montagne sacrée
Le refuge des Merveilles
se réveille alors que le jour peine à poindre. Le gardien
scrutant les versants par la fenêtre dit : Il y a un peu de
neige sur la pente ! Le mont Bego disparaît dans brume et quelques
taches blanches éparses recouvrent les rochers. Mais bientôt
la lumière rasante d’un soleil ardent fait resplendir
les rochers austères et les miroirs d’eau. Le dieu taureau
se fait-il pardonner les tourments de la journée d’hier
? Le sentier grimpe et serpente entre les lacs des Merveilles qui
jouent comme des déversoirs les uns sur les autres. On passe
par des couloirs étroits entre des rochers cyclopéens,
dressés comme des orants au mont Bego.
Un brouillard doré
est dispensé sur un petit plateau prémisse de la cime
du Diable, la balise 404. Derrière nous on voit en enfilade
la vallée de Fontanalba, voire le col de Tende ( ?) qui rutilent
gorgés de soleil juste en dessous de la brume dense du mont
Bego. C’est irréel ! Il y a Dieu là dedans !
Au bord du pas du Diable (2430m) les randonneurs disent adieu à
la montagne sacrée. Elle n’a montré que peu de
son secret, suffisamment sans doute pour donner l’envie d’y
revenir ? La dégringolade commence pour quitter l’austérité
et retrouver les riantes vallées.
Des chamois nous saluent bien bas et tournent le dos. Des marmottes
crient ‘Adieu !’ et s’enfuient dans les éboulis.
Le chemin de crête est en équilibre au dessus des versants
herbeux. Des vacheries sont ancrées sur les vertes pentes.
On distingue des villes nichées au fond des vallons. Partout
la tendre pelouse nous dit que la rude montagne est bien loin derrière
nous. On pique nique à l’abri d’un col dans la
Baisse de St Véran (1836m). Le soleil perce enfin, la brume
disparaît totalement. Un coup d’œil montre que Le
mont Bego retient les nuages. Le climat change. On part à l’assaut
de l’Authion. Est-ce judicieux d’employer un tel mot ?
L’Authion
!En 1793 les soldats
de l’armée d’Italie, l’armée de la
Convention, partaient déjà à l’assaut de
l’Authion combattre les coalisés austro-sardes. En descendant
vers le col de Turini, une colonne votive, construite par le XIe groupe
alpin en 1901, rappelle cette période. Au sommet de la pointe
des Trois Communes (2080m) un fort en ruines datant de la ligne Maginot
(1936) veille sur une contrée qui, en deçà était
italienne il n’y a pas si longtemps ! Les allemands l’ont
utilisé pour défendre leur retraite contre les français
des DFL, tirailleurs sénégalais, fusiliers marins, chars…
(273 français morts au combat). Tende et La Brègue ont
fini par être rattachées à la France.
Le panorama est vaste et profond le regard balaye tout alentour les
crêtes, les vallées, les ravins, les failles et les précipices
du comté de Nice. De paisibles vaches ruminent à présent
autour du fort devenu un point de ralliement pour les randonneurs.
La Baisse de Camp d’Argent est au bout d’une route en
lacets interminables très à l’écart du
GR. Mais l’accueil des randonneurs est très chaleureux
!
Notre hôtesse nous propose des tartes aux myrtilles et à
la framboise pour accompagner le thé ou la petite bière
! Selon ses dires le terme Camp d’Argent vient du campement
du régiment de la solde de l’armée d’Italie.
Repas généreux pour cette étape ! Le Chef offre
son traditionnel champagne pour clôturer le dernier soir de
la randonnée.
Assiette de cochonnailles
Daube de bœuf aux cèpes (géniale !)
Glace, tarte aux myrtilles (splendide !), tarte aux framboises (un
délice !)
Côte de Provence Domaine de Brigue
Les randonneurs ont-ils
le vague à l’âme ? Ils vont se glisser dans leurs
sacs à viande sans tant languir !
Dimanche 17 septembre
: Sur le pont de Sospel
Le ciel est couvert,
mais derrière nous la cime du Diable et le Mont Bego de détachent
distinctement sur l’horizon translucide. Ô vous les randonneurs
présomptueux, les marcheurs qui avez osé pénétrer
le sanctuaire du dieu Taureau, voyez la vanité de vos efforts
! Estimez vous heureux d’avoir entraperçu la divinité
! Et les voilà descendant la crête au dessus des vallons
verdoyants, avec leurs bergeries, leurs vacheries amarrées
sur les versants. Notre pas est rapide et alerte comme si revenir
dans les villes après toutes ces journées hors du monde
était une délivrance. La route de crête zigzague
d’une vallée l’autre. A un détour, juste
avant la baisse de Ventabren (1862m) on voit au loin une ligne courbe
suspendue sur un fond gris bleuté.
C’est la côte de Nice, la mer Méditerranée
! C’est si loin, en deçà des montagnes ultimes
qui plongent dans la mer, que l’œil semble confondre la
mer et les cimes. La descente s’accélère sur un
sentier le long d’un flanc escarpé. Dans un bosquet,
un petit agneau égaré bêle misérablement,
il est blessé, il fuit notre présence et dévale
la pente. Les randonneurs ont le cœur serré. Un canon
rouillé gît le long d’un fossé oublié
par tant de combattants. Des abeilles tardives butinent quelques fleurs
de chardon, faute de mieux (?). L’été s’en
va. Mais sur les bas côtés flotte une légère
odeur de garrigue. Quelques boules de thym annoncent les terres de
Provence. Et Sospel apparaît au milieu des oliveraies.
Au bord du sentier des arbustes à gros fruits ronds, semblables
à des boules granuleuses tendent leurs branches pour griffer
les passants. Ce sont des cédrats dit Sylvie. Le chemin devient
une route pierreuse facile à descendre. Les cyprès dressés
comme des chandelles vert sombre ponctuent les touffes de gris-vert
argenté des oliviers, de vert profond des figuiers et des grenadiers
dans la vallée de Sospel.
Le pont de Sospel enjambe la Bevera, avec ses deux arches et la porte
fortifiée au milieu. Des fanions multicolores flottent au vent,
la ville est décorée comme pour un jour de fête
! C’est le dernier jour du Raid-Mercantour !
Des coureurs au visage rougi et au dossard de guingois courent nonchalamment
le long du parapet de la Bevera. Des vététistes descendent
l’avenue dressés debout sur les pédales des vélos.
Les enfants jouent avec la passerelle de fortune tendue entre les
rives de la rivière près du pont. Des gens au visage
rieur sont attablés aux terrasses des cafés. Et nous
les randonneurs, pleins d’énergie et d’endurance
emmagasinée, avec nos 8110m de dénivelée positive.
On peut faire partie des raiders, non ?! On a souffert nous aussi,
on a géré nos capacités pour aller au bout de
nous même ! On fait partie de la famille hein ?! Mais bon, c’est
autre chose que nous avons gagné, quelque chose d’intérieur.
N’est ce pas la Nature qui s’est offerte à nous
?
Sans doute est-ce Lorenzo, le gardien du gîte de St Dalmas,
qui en a trouvé la clé au travers d’un poème
de Lamartine affiché dans son refuge :
« Mais
la nature est là qui t’invite et qui t’aime
Plonge toi dans son sein qu’elle t’ouvre toujours
Quand tout change pour toi, la nature est la même
Et le même soleil se lève sur tes jours »
Alphonse de Lamartine,
Le vallon
Jean-Claude,
Alain, Michael, Jean-Yves et Sylvie.